Je cogite pas mal depuis quelques mois sur l’idée que la VOD (Vidéo à la Demande) serait le nouveau modèle pour voir un film… mais je ne peux pas m’y faire. Je fais partie de ces cinéphiles qui se rendent religieusement au cinéma et pour qui mettre sur pause, un petit écran, les bruits ambiants et les commentaires tuent la magie de ce temps suspendu que représente le film. Mais il me faut prendre du recul par rapport à mes habitudes pour essayer de comprendre cette tendance actuelle.
Quelques mots de contexte
Netflix est arrivé en France en Septembre 2014. Cet événement a suscité craintes et regrets, regrets de ne pas avoir anticiper. Canal+ semble avoir le mieux réagit en améliorant son offre VOD prééxistante, CanalPlay. Nous verrons dans les mois à venir quel en sera l’impact sur la fréquentation des salles obscures. La France reste une nation de cinéphiles comme on peut le voir sur le graphe ci-dessous. Peut-être que cela se fera plus sentir pour la télévision, en effet le cadre de visionnage pour le téléspectateur est assez similaire avec la VOD.
Du point de vue des spectateurs
Il s’agit de deux expériences de visionnage très différentes. Dans une salle de cinéma le spectateur est entouré par les réactions des autres spectateurs. Ces réactions peuvent aller dans son sens ou pas, suscitant ainsi un sentiment d’appartenance ou à l’inverse un sentiment d’incompréhension, de frustration. Cette interaction est riche, c’est un partage en direct sur le film d’une certaine façon. De plus la taille de l’écran (toujours plus grand avec l’IMAX par exemple), le confort des fauteuils, l’absence de bruits parasites et de lumière (sauf en cas de perturbation générée par la mastication de pop corn ou par la lumière des écrans de téléphones portables), tout cela contribue à faire oublier au spectateur où il est et ainsi à le plonger dans lunivers du film.
D’un autre côté la VOD a l’avantage d’être plus pratique. C’est moins cher. Il n’y a pas besoin de sortir, on reste chez soi dans un environnement rassurant et confortable. Il n’y a pas de spectateurs irritants à côté. On peut mettre sur pause à tout moment. C’est certainnement un changement important dans les modes de consommation de films étant donné que les films deviennent plus accessibles à plus de personnes. Cependant la magie du rituel de la « salle obscure » meurt ainsi. Il est d’ailleurs significatif de voir qu’il n’y a pas de traduction pour cette expression en anglais, on dit seulement « theatre ».
Du point de vue des studios
Si le futur des films se trouve dans la VOD cela signifie alors qu’ils seront visionnéssur des ordinateurs ou sur des télévisions (qui deviennent de plus en plus grandes pour cette raison sans doute). Est-ce que les studios seront toujours prêts à investir des millions sur un film afin d’atteindre certains critères de qualité, si c’est pour qu’il soit vu sur un petit écran ? La tendance actuelle pour les majors américaines est de produire des films chargés en effets spéciaux avec des budgets exponentiels. Ce modèle sera-t-il viable sans sortie en salles ? Par exemple The Amazing Spider-Man a coûté 258 millions de dollars… mais en a généré 890 millions en recettes mondiales. Par contre The Green Lantern a généré 69 millions de dollars pour un budget de 110 millions. Une telle escalade des effets speciaux ne garantie pas le succès d’un film et les studios survivent en contrebalançant une perte sur un film par le succès d’un autre film. Il se peut que le modèle économique est été le même depuis le début, la seule différence réside dans les sommes en jeu aujourd’hui. Passer du modèle de la sortie en salle au modèle de la VOD ne se fera que progressivement. De plus financer un film avec les revenus de la VOD est impossible à l’heure actuelle. Ces revenus sont trop faibles et ne sont pas proportionnels au succès du film de la même façon : un succès au box-office coûte plus cher en droit d’acquisition à Netflix, mais le coût de ces droits est dérisoire comparé aux sommes générés par des millions de tickets vendus. Désormais il faut instaurer des règles claires pour la VOD, des règles qui permettraient la création d’un modèle de financement des films viable et durable.
Quels films voulont nous voir ?
Finalement le problème se résume à se demander quel type de films nous voulons voir. Les blockbusters nécessitent de grands écrans, ou tout au plus semblent nécessiter, cela pourrait évoluer. Ces films continuent d’attirer des spectateurs car ils offrent de « nouvelles sensations » et sont visuellement à couper le souffle. A l’autre bout de la palette, les films indépendants ne semblent pas nécessiter une telle intensité technologique et peuvent être visionnés à la maison. Cette distinction est largement criticable. Premièrement, c’est une question de perception individuelle quant à ce que chacun recherche dans un film. Deuxièmement, la discrimination entre blockbusters et films indépendants est peu pertinente d’autant que ces termes définissent des réalités bien différentes en France et aux Etats-Unis. Enfin le souci est de voir quel type de films seront produits sur le long terme si la VOD prend de l’ampleur. Quel sera le résultat de l’introduction d’une telle technologie, d’un tel service sur l’offre cinématographique ? Je suis tout à fait d’accord avec Pauline Kael, la critique de cinéma du New Yorker dans les années 60-70, quand elle proposait de combler le fossé entre le cinéma des élites et le cinéma populaire avec le concept d’entertainment. Les films doivent être divertissant et l’accent devrait se porter sur l’histoire. Peu importe la catégorie dans laquelle est classé le film, peu importe les conditions de visionnage du film, tant que l’histoire est bonne.