Alix récupère en vitesse le sachet de thé qui infuse depuis un peu trop longtemps dans son eau chaude, ouvre son cahier, attrape un stylo et ses écouteurs, juste à temps pour l’appel de Mathias de 7h30.
– Bonjour Alix, commence-t-il sobrement.
– Salut, aïe, dit-elle en se brulant la langue.
– Ça va ?
– Oui, j’ai confondu vitesse et précipitation, explique Alix, reprenant à son compte l’expression que lui serinait sa mère chaque fois qu’elle engloutissait trop vite son petit déjeuner. Alors voici où j’en suis de mes réflexions : je vais explorer la liste des différentes maladies. J’ai deux doctorants sur le sujet. Par contre je pense qu’il faut réfléchir à des causes qui pourraient toucher tout le monde, comme la pollution, un virus ou une mutation génétique.
– Un virus ?
– Oui, il faudrait faire des prélèvements sanguins pour voir s’il y a des traces d’anticorps inconnus par exemple. On en parle avec les membres de la nouvelle équipe Oculus aujourd’hui. Tu as reçu leur accord de confidentialité ?
– Oui, j’ai tout. As-tu fini les recrutements ?
– Presque, ça dépendra en partie des nouvelles pistes.
– Dont la mutation de l’ADN ?
– Oui, là c’est plus compliqué pour obtenir des séquençages ADN. Je vais réfléchir à une façon de procéder.
– Mais ça ne te révèle dans aucun des cas les causes de l’épidémie ? questionne Mathias.
– Non, ça ne me dit pas à quoi est due la mutation ou comment se propage le virus, mais ça oriente la stratégie de lutte. Et puis on peut ensuite remonter à la cause racine.
– Je vois. J’arrive à Matignon. A demain, conclut-il en raccrochant.
Il est 7h31. Leur relation a le mérite de la brièveté, voire de la précipitation, sourit-elle. Alix se détend, s’appuie sur le dossier de sa chaise de cuisine et saisit la tartine sur la table qui attendait la fin de l’appel. Elle la mâche lentement en pensant à sa mère.
*
Devant les boites aux lettres, l’oreille d’Alix attrape à la volée les commentaires de couloir de deux voisins qui s’énervent de la médiocrité du match de foot de la veille. Une cage toute dégagée aurait été loupée et plus de trente fautes enregistrées par un arbitre entre exaspération et incompréhension. Comment est-il possible que les joueurs soient devenus si mauvais ? Certes la sélection est composée de jeunes fraichement promus bleus, mais tout de même ! A croire qu’ils aient tous besoin de lunettes. Bonjour mademoiselle !
La pharmacie du coin de la rue, trois personnes attendent sur le trottoir. Deux rues plus loin, une queue de cinq personnes. A l’angle du boulevard, huit personnes. Alix laisse filer son vélo, pensive, avant de lui faire dessiner un U. Elle pose un pied sur le trottoir et interpelle le pharmacien sorti scotcher une feuille d’imprimante sur la vitrine. Il se décale à temps pour laisser la bousculade de patients déchiffrer l’écriture manuscrite qui annonce « Plus de paracétamol en stock » puis se disperser en maugréant.
– Bonjour, que se passe-t-il ?
– Incompréhensible, soupire le pharmacien. Les gens se battent pour des boites de paracétamol… On n’a jamais vu une telle vague de migraines.
– Que vous disent vos patients ? poursuit Alix. Quand surviennent les symptômes ?
– Ils sont fatigués à la fin de la journée, ils prennent un cachet pour calmer le mal de tête. Mais pourquoi toutes ces questions ? se reprend le pharmacien. Vous êtes journaliste ?
– Non, non, juste un peu curieuse. Bon courage !
Alix rembobine la pédale, prend appui et file. Un nouveau signe. La crise s’accélère. Aujourd’hui l’équipe Oculus entre en action. Les collègues et doctorants qu’elle a sélectionnés ces derniers jours avec le Directeur de l’Institut vont être embarqués comme elle dans une mission très spéciale.