[Mis à jour le 17/02/2020]
C’est toujours révélateur quand une langue a 2 mots pour décrire un concept qui n’en a qu’un dans sa propre langue. La langue russe a 2 mots pour parler de vérité : pravda (пра́вда) et istina (истина). Certains* ont même analysé cette spécificité avec les lunettes de la politique actuelle. Un ami russe m’a expliqué que pravda, aussi le nom du journal de propagande de l’USSR, était de fait négativement connotée. Istina est d’une certaine façon le niveau d’après de la vérité, la vérité fondamentale et inaltérable.
En anglais tout comme en français, nous avons seulement un mot, plus proche d’istina que de pravda. La lecture de Barbara Cassin m’a permis d’affiner l’analyse. Ainsi pravda est ethnologiquement lié à la notion de justice, quand istina s’approche de la notion de vérité comme exactitude.
Pour les Russes, quand nous disons vérité nous confondons deux choses : la justice et l’exactitude. A nos yeux en revanche, quand ils disent pravda, les Russes confondent deux choses : la justice et la vérité.
Barbara Cassin – Plus d’une langue – Edition Bayard – Les petites conférences
Pour une oreille française, il semble que les Américains valorisent fortement la vérité. Combien de fois entendons-nous l’injonction “you need to tell him/her the truth!” (tu dois lui dire la vérité) dans les films américains ?
Cela m’a aussi rappelé le formulaire d’entrée aux Etats Unis à remplir afin de rentrer dans le pays. En plus des questions liées aux antécédents judiciaires du candidat au passage de frontière, cette question a toujours fait lever un (ou deux) sourcil aux Français : “Do you seek to engage in or have you ever engaged in terrorist activities, espionage, sabotage or genocide?” (Avez-vous l’intention de participer ou avez-vous déjà participé à des activités terroristes, ou des actes d’espionnage, de sabotage ou de génocide ?). Pouvez-vous imaginer le terroriste cochant « oui » ? Alors pourquoi une telle question ? En cochant « non », le terroriste commet un nouveau crime sérieux d’un point de vue américian : il ment.
*https://www.nytimes.com/2016/12/15/opinion/to-understand-trump-learn-russian.html
Jolie promenade que celle-ci, dessus, dessous et entre les mots, ça me fait penser au travail de la philosophe Barbara Cassin qui s’intéresse à ce qu’elle nomme « les intraduisibles », avec ses collègues de toutes nationalités elle a donc rédigé un dictionnaire des intraduisibles.
Oui j’aime aussi beaucoup ce genre de façon de réfléchir. Dans la même veine il y a aussi tous les dictionnaires de mots « qui nous manquent ». Un article sur le sujet est en cours d’écriture…