En persan tout part du mot « ami » دوست prononcé « doust ». On compose cette amitié avec le verbe « avoir » pour créer le mot « aimer ». سیب را دوست دارم ou cib râ doust dâram ou « j’ai pour ami les pommes ».
Le persan tisse une relation d’initimidité propre à l’amitié entre la personne et l’objet de cette affection que ce soit des pommes dans l’exemple précédent ou un être animé. Au coeur du verbe « aimer » le persan introduit un interstice pour créer un lien. Cela me fait penser à une conférence du philosophe François Jullien* en septembre dernier lors du festival du journal Le Monde. Il mettait en avant le concept d’intime comme un espace partagé avec un autre qui conserve son altérité et l’opposait à l’amour passion qui prend autrui comme extension, continuation de soi. J’aime la version persane qui se prend d’amitié et tisse des liens.
Autre langue, autre philosophie. L’espagnol a 2 mots pour dire aimer : querer et gustar. A mi me gustan las manzanas ou j’aime les pommes. C’est ici une question de goût. On pourrait traduire littéralement en français par « les pommes sont à mon goût ». Les pommes sont sujets et l’énonciateur est complément d’objet (souvenir des cours de français du collège). L’espagnol fait donc faire un pas de côté à l’énonciateur qui n’est plus le coeur de sa phrase, contrairement à ces fameuses pommes qui lui plaisent. Quant au verbe querer il rappelle le désuet verbe « chérir ».
Dans cette même famille on trouve le verbe anglais to care dont l’ancêtre commun à querer et chérir est latin, carus. Le passage par l’anglais a teinté ce mot. To care c’est prendre soin, c’est faire attention à. Il y a une certaine prévenance dans ce mot, érigé un moment en concept pour les systèmes de santé en Europe, importé tel quel d’outre manche car nous ne parvenions pas à trouver un équivalent français.
L’anglais offre enfin tout un gradient de mots pour décrire une relation. I care for someone, I like someone, I love someone. Des degrés différents d’affection pour différentes situations. Les toutes jeunes relations utiliseront I like you jusqu’à atteindre le point d’orgue du I love you. Les mots sont alors révélateurs d’un changement fort du statut de la relation. A l’inverse le Français souhaitant déclarer sa flamme est un peu pauvre avec le seul verbe aimer. Heureusement qu’il peut y ajouter une mulitude d’adverbes pour nuancer ! On dira d’abord « je t’aime bien », puis « je t’aime beaucoup » avant de revenir au simple « je t’aime », plus puissant car sans nuance…
*De l’intime, livre de François Jullien peut se trouver en suivant ce lien :
https://www.parislibrairies.fr/livre/9782253156536-de-l-intime-francois-jullien/
Très beau voyage dans les subtilités des proclamations amoureuses ! je me permets juste de commenter… une faute de frappe , beau lapsus calami. Tu écris : Le persan tisse une relation d’initimidité. J’ai cru d’abord à un néologisme volontaire : une relation d’in-timidité, une sortie de la timidité réciproque qui permet d’atteindre cette intimité dont tu voulais parler. Mais il y a ce i supplémentaire qui vient après le in, et fait donc commencer ton mot par ini. Ini appelle inimitié, l’opposé de l’amitié. Ce i subreptice introduit l’inimitié dans un texte sur l’expression de l’amour. Mais n’est-ce pas là une très belle formulation de la réalité : même dans l’amour, il y a toujours une part de son contraire qu’il faut apprivoiser ?!
Une autre langue est également plus subtile que la nôtre pour parler d’amour, c’est le grec ancien avec trois mots : eros, philia et agape. Un prochain billet ?